Les fausses promesses de la loi d’indemnisation des victimes d’accidents médicaux : description du parcours du combattant d’une victime

02/01/2020 22:55

L’article de maitre Vincent Julé-Parade des ASH du 12 mai 2017 intitulé « Les lacunes de la loi d’indemnisation des victimes d’accidents médicaux » dénonce les dysfonctionnements de la procédure de conciliation. En effet, cette démarche n’a pas de valeur contraignante et aussi bien les assureurs que l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux joue la tactique de l’usure de la victime.

Je souhaitais continuer cette réflexion sous l’angle des promesses faites aux victimes par cette loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et de la qualité du système de santé dit loi « Kouchner ».

En tant qu’ingénieur social spécialisé dans les accompagnements individuels de personnes en rupture de parcours de vie, je me bats pour permettre la mise en œuvre des droits des usagers, des malades. Pour moi, le droit des usagers a pour finalité d’assurer aux personnes en situation de fragilités l’accessibilité à une information claire, le respect de leur identité, de leurs différences, de leur intimité, d’assurer à ces personnes une place dans notre société malgré leurs fragilités. Il est important d’être vigilant pour qu’une situation de fragilité ne soit pas l’occasion d’abus, n’occasionne pas une atteinte à leur dignité. Mais qu’en est-il du respect du droit des personnes dans ces démarches d’indemnisation proposées par la loi.

Droit à l’information : liens entre qualité, fiabilité de l’information et choix de la bonne procédure par la victime

Force est de constater un décalage entre le discours de la loi Kouchner qui parle de conciliation, de gratuité, de rapidité, et la réalité.

Il est important de reposer le contexte. Imaginons une personne victime d’un accident médical qui a entrainé chez elle une situation de handicap la freinant dans ses activités de la vie quotidienne et étant source de douleurs tant psychiques que physiques. Comment peut-elle seule, faire le choix de la procédure adaptée à sa situation ? Les promesses de la loi énoncées au-dessus ne sont-elles pas le gage d’une démarche de qualité où chacun est entendu et où grâce à une conciliation on peut accéder à une indemnisation ? N’est-il pas rassurant de croire en un système ? N’est-il pas rassurant de ne pas partir dans la voie judiciaire ? N’est-il pas rassurant de ne pas avoir avancer des frais pour se défendre ?

Et n’oublions pas que la question du choix est cruciale pour les victimes car elles peuvent parfois s’en vouloir d’avoir choisi un professionnel de santé, d’avoir choisi de se faire opérer et de se sentir ainsi coupables d’un mauvais choix.

De la promesse d’une conciliation à un tribunal : Combat de David contre Goliath

Le temps de l’expertise médicale en présence des deux parties engagées dans la démarche de conciliation peut souvent être vécue comme le combat de David contre Goliath. En effet, que penser de l’équilibre des pouvoirs quand lors de cette commission vous arrivez seul, comme le préconise la loi, et que vous vous retrouvez face à une armada mobilisée par votre médecin qui lui est entouré par son avocat et par l’expert médical de son assureur?

Comment réagissez-vous si l’expert qui anime la conciliation vous parle de procès, et exprime l’idée que cette démarche est comme un tribunal ? Ne pouvons-nous pas avoir le sentiment que la personne passe du statut de victime à une personne qui ose accuser et attaquer un médecin dont la mission est de guérir? La culpabilisation serait-elle une seconde arme du système en plus de l’usure ?

Comment cette situation peut-elle permettre à la personne de se sentir écoutée, entendue dans sa douleur, souffrance que ces démarches et ces expertises réactivent ? Enfin, les professionnels du secteur sanitaire de cette conciliation utilisent un langage technique peu compréhensible, peu accessible pour les personnes. Comment la personne peut-elle avoir l’impression que la conciliation est équilibrée ? La victime est encore face à une situation de handicap livrée seule à cette horde de professionnels.

Par ailleurs, qu’en est-il d’une possible solidarité entre le corps médical car les experts sont souvent eux-mêmes encore en exercice et peuvent également à leur tour faire l’objet d’une procédure d’indemnisation ?

Que penser des pratiques de certains experts qui nous proposent de nous réopérer une fois la procédure achevée ?

Enfin que penser d’une CCI qui répond qu’elle ne peut pas nous conseiller de prendre un avocat ?

De la gratuité à l’engagement de frais pour assurer une défense digne de ce nom

Fort de cette première expérience et malgré les conseils de la CCI de ne pas prendre un avocat comme le stipule la loi, il apparaît bien plus raisonnable de faire ce choix. Et là, le parcours du combattant continue. Comment choisir son avocat ? On peut s’interroger sur le fait de choisir un avocat qui s’occupe tant des médecins que des victimes. Comment une personne qui ne connaît rien à ces démarches, à ce monde, peut-elle s’y retrouver ?

Une telle démarche va nécessiter l’engagement de frais pour une expertise médicale qui est souvent le préalable pour qu’un avocat vous défende et ne crée pas de faux espoirs chez la personne.

Et voilà c’est parti en plus d’être victime, d’assumer les frais de sa situation de handicap depuis l’accident, en plus de ne plus être ou être en activité professionnelle réduite, il faut avancer des frais qui normalement seront couverts une fois l’indemnisation obtenue. Nous pouvons nous demander combien de personnes baissent les bras et arrêtent alors la démarche. Et là nous pouvons parler d’usure qui est certainement l’arme la plus déloyale contre la victime.

De la rapidité à une procédure qui s’éternise

Enfin, toutes ces étapes s’étalent sur plusieurs mois : il y a des rebondissements. La personne passe régulièrement de l’abattement à l’espoir d’être entendue et reconnue comme une victime. Et le temps passe, s’allonge et le quotidien de la victime lui n’évolue pas et son moral fluctue selon les étapes de la démarche : constitution du dossier de demande d’indemnisation, expertise, réunion CCI, demande de contre expertise, choix de son médecin expert et de son avocat, rencontre avec ces derniers, nouvelle contre expertise, nouvelle cci, demande de document supplémentaire, nouvelle CCI.

Et puis la décision tombe. Ce qui est ahurissant dans cette démarche et comme le dénonce Maitre Vincent Julé-Parade, il y a comme une double peine : qu’il y ait rejet ou acceptation d’indemnisation, la victime n’est pas assurée d’avoir une indemnisation.

Quelles suites alors à donner ? Recommencer à zéro une procédure ? Mettons nous un instant à la place de la victime. Que feriez vous ? Ne faut-il pas une énergie et un espoir débordant pour faire face à ces démarches ? Auriez-vous envie de retraverser toutes ces montagnes russes ? N’est-il pas aberrant que l’organisation actuelle du système demande à des personnes déjà victimes en situation de handicap, d’avancer de l’argent pour se défendre d’une situation dont elles ne sont pas responsables ? Le système ne se trompe t’il pas de cible ?